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La marche est un art, une mĂ©ditation en mouvement, une façon dâhabiter le monde avec plus de lenteur et dâattention. De nombreux auteurs ont cĂ©lĂ©brĂ© les vertus de la promenade : Rousseau, Thoreau, Nietzsche, Walter Benjamin, chacun Ă sa maniĂšre, a vu dans la marche une activitĂ© essentielle, presque philosophique. Câest dans cette lignĂ©e que sâinscrit Karl Gottlob Schelle, auteur du XIXe siĂšcle, qui livre dans Lâart de se promener une rĂ©flexion sur la marche et ses bienfaits.
Ă premiĂšre vue, le sujet a tout pour me plaire : une ode Ă la lenteur, une cĂ©lĂ©bration du vagabondage intĂ©rieur et extĂ©rieur, un Ă©loge du corps en mouvement dans lâespace. Et pourtant, Ă la lecture de cet ouvrage, je suis restĂ© mitigĂ©. Il y a du bon dans ce texte, des passages intĂ©ressants, mais aussi des lourdeurs, des rĂ©pĂ©titions, et une approche qui manque parfois de souffle et de profondeur.
Il faut rappeler que Karl Gottlob Schelle Ă©crit en 1802. Son texte appartient Ă une Ă©poque oĂč la marche commence Ă ĂȘtre réévaluĂ©e comme une pratique noble, non plus seulement un moyen de dĂ©placement, mais un acte de rĂ©flexion, une expĂ©rience spirituelle. Il prĂ©cĂšde ainsi les Romantiques et les philosophes piĂ©tons du XIXe siĂšcle, et l’on peut saluer son intuition visionnaire.
LĂ oĂč le livre perd un peu en intĂ©rĂȘt, câest dans son ton trop descriptif et parfois moralisateur. Schelle ne cherche pas tant Ă nous faire ressentir la promenade qu’Ă nous dire comment elle devrait ĂȘtre pratiquĂ©e, pourquoi elle est bĂ©nĂ©fique, et en quoi elle nous grandit.
Or, la marche est avant tout une expĂ©rience sensorielle et intime. La rĂ©flexion de Schelle reste trop rationnelle, comme sâil sâagissait de convaincre un tribunal de la valeur de la promenade. On aurait aimĂ© plus dâĂ©vasion, plus de poĂ©sie, plus de ressenti personnel.
MalgrĂ© mes rĂ©serves, Lâart de se promener a de rĂ©elles qualitĂ©s.
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Un témoignage historique intéressant
Schelle Ă©crit Ă une Ă©poque oĂč la marche est encore perçue comme une activitĂ© triviale. En cela, il sâinscrit dans un mouvement de rĂ©habilitation, oĂč la promenade devient un acte philosophique, esthĂ©tique et moral. Il est un prĂ©curseur de ce qui deviendra, plus tard, une tradition intellectuelle forte. -
Des réflexions pertinentes sur les bienfaits de la marche
Schelle Ă©voque les bienfaits physiques et mentaux de la promenade, et certains passages rĂ©sonnent encore aujourdâhui. Il parle de la marche comme dâun Ă©quilibre entre le corps et lâesprit, comme un moyen de se recentrer et dâĂ©chapper aux troubles de lâĂąme. -
Un livre accessible
Contrairement Ă certains traitĂ©s philosophiques complexes, ce livre reste facile Ă lire. Il peut ĂȘtre une introduction intĂ©ressante Ă la rĂ©flexion sur la marche, mĂȘme si dâautres auteurs ont, depuis, approfondi ce sujet avec plus de finesse.
Mais aussi quelques limites.
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Un ton professoral et un manque de lyrisme
Lâun des grands dĂ©fauts du texte est son ton trop acadĂ©mique. On ne ressent pas chez Schelle la joie pure de la promenade, cette sensation de libertĂ©, dâĂ©vasion, de dilatation de lâĂȘtre que lâon retrouve chez un Rousseau ou un Thoreau. -
Un manque dâancrage dans le sensible
Schelle parle beaucoup de la promenade de maniĂšre thĂ©orique, mais il nous manque le vent dans les arbres, la sensation des pierres sous le pied, lâodeur de la terre aprĂšs la pluie. Son texte aurait gagnĂ© Ă ĂȘtre plus incarnĂ©, plus sensoriel, plus vivant. -
Une approche parfois trop normative
Lâauteur ne se contente pas de vanter la marche, il semble vouloir dicter comment il faut se promener. Or, la beautĂ© de la marche rĂ©side justement dans sa libertĂ© absolue, dans le fait quâelle ne rĂ©pond Ă aucun dogme, aucun mode dâemploi.
Si vous ĂȘtes passionnĂ© par lâhistoire des idĂ©es, ce livre peut ĂȘtre intĂ©ressant, ne serait-ce que pour comprendre comment la marche est devenue un sujet philosophique. Mais si vous recherchez un texte vibrant, poĂ©tique, capable de vous donner envie de partir marcher dĂšs la premiĂšre page, mieux vaut vous tourner vers Henry David Thoreau (De la marche), FrĂ©dĂ©ric Gros (Marcher, une philosophie) ou encore Sylvain Tesson.
En conclusion
Lâart de se promener est un livre intĂ©ressant, mais pas captivant. Il propose une rĂ©flexion historique et philosophique sur la marche, mais manque dâĂ©motion et de chair. Il reste une curiositĂ©, un texte Ă lire pour comprendre une Ă©poque, mais pas une Ćuvre qui marque profondĂ©ment lâĂąme du lecteur.
En refermant ce livre, je nâai pas eu cette irrĂ©sistible envie de chausser mes bottes et dâaller marcher. Or, pour un ouvrage qui prĂ©tend cĂ©lĂ©brer la promenade, câest peut-ĂȘtre lĂ son plus grand Ă©chec.
David – PoĂšte & Philosophe