Voie Poétique

𝐿𝑒𝑠 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑒𝑚𝑝𝑙𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛𝑠 𝑝𝑜𝑒́𝑡𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 …

  • En février 1992, Christian Bobin publie simultanément deux livres qui vont changer le cours de sa carrière littéraire. « Le Très-Bas » chez Gallimard lui apporte la notoriété, mais « Un livre inutile » chez Fata Morgana révèle l’essence même de sa poétique.

    Cette œuvre méconnue de 67 pages constitue un véritable art poétique déguisé en exercice critique, où Bobin transforme l’analyse littéraire en création pure. Loin d’être anecdotique, ce petit livre broché sur papier vergé ivoire dévoile les fondements secrets de l’écriture bobinienne et marque l’aboutissement de sa collaboration avec l’une des plus belles maisons d’édition françaises.

    « – C’est quoi, un livre inutile ? – C’est un livre qui ne parle que des livres, comme celui-ci. – Alors pourquoi l’écrire ? – Les livres sont des boîtes à musique remplies d’encre. J’ai voulu recueillir, juste avant qu’elles s’éteignent, quelques notes grêles, quelques airs de berceuse. »

    Cette ouverture en forme de dialogue fictif révèle d’emblée le génie de Bobin : transformer l’exercice critique en conversation intime. L’auteur y développe sa métaphore révolutionnaire des « boîtes à musique remplies d’encre », comparant chaque livre à un mécanisme musical fragile dont il faut saisir les dernières notes avant qu’elles ne s’estompent. Cette conception de la littérature comme musique éphémère traverse toute l’œuvre de Bobin, mais nulle part elle n’est exprimée avec autant de clarté poétique.

    Le livre rassemble sept portraits d’écrivains traités selon une méthode révolutionnaire. Bobin évite « les sentiers habituels du commentaire » pour créer un « échange souterrain » avec ses auteurs de prédilection. Paul Claudel, figure habituellement antipathique, devient le « petit Paul », être simple proche de la nature. Franz Kafka révèle son essence poétique « subtile, impersonnelle ». Cette approche transforme radicalement l’exercice critique traditionnel.

    1992 marque une année charnière dans la vie de Christian Bobin. À 41 ans, installé dans son HLM du Creusot « avec vue sur le paysage usinier », il vit une période d’équilibre créatif exceptionnel. Sa relation platonique avec Ghislaine Marion, rencontrée en 1979, atteint son apogée inspirateur. Cette femme mariée, mère de trois enfants, représente pour lui une « seconde naissance » et nourrit directement l’écriture de ses « livres cardinaux ».

    Bobin entretenait une correspondance épistolaire profonde avec Bruno Roy, l’éditeur de Fata Morgana, depuis le milieu des années 1980. Ces lettres, d’ailleurs publiées sous le titre « Lettres d’or » en 1987, témoignent d’une complicité artistique rare. Vivant dans une forme de « dénuement volontaire », Bobin avait trouvé en Bruno Roy un éditeur-artisan qui partageait sa vision de l’écriture comme nécessité vitale plutôt que comme ambition mondaine.

    La publication simultanée d’ »Un livre inutile » et du « Très-Bas » illustre parfaitement cette tension entre écriture confidentielle et reconnaissance publique. Bobin pressentait que le succès du « Très-Bas » (plus de 400 000 exemplaires vendus) allait transformer sa vie d’écrivain. « Un livre inutile » peut se lire comme une méditation sur cette transition, une réflexion sur l’authenticité littéraire face aux « attentes et triomphes mondains ».

    Bruno Roy, fondateur de Fata Morgana en 1966, se définissait comme un artisan plutôt qu’un éditeur : « Faire des livres est un ‘art mineur’, mixte de travail manuel et intellectuel, de création et d’exécution que je vois assez proche de la cuisine, de la poterie. » Cette philosophie correspondait parfaitement à l’univers de Bobin, qui recherchait l’harmonie entre forme et fond.

    L’édition originale d’ »Un livre inutile » témoigne de cette exigence artisanale. Imprimé le 13 février 1992 chez Monti à Cognac, le livre comprend 1460 exemplaires sur papier vergé ivoire, précédés de 40 exemplaires de tête sur vélin pur fil Johannot. Ces derniers, cotés aujourd’hui 120 euros, révèlent la reconnaissance bibliophile de cette œuvre. La typographie soignée, la couverture à rabats, le format 125 x 220 mm : chaque détail participait à créer un objet-livre à la hauteur du texte.

    Fata Morgana cultive depuis plus de cinquante ans un « dialogue à trois entre l’écrivain, l’artiste et l’éditeur ». Cette maison d’édition, aujourd’hui la plus ancienne encore vivante de la région Occitanie, privilégie les « textes courts, atypiques, singuliers »  – exactement ce que proposait Bobin avec ses méditations fragmentaires.

    « Un livre inutile » constitue l’un des premiers exemples de ce qu’on pourrait appeler la « critique créative » dans la littérature française contemporaine. Bobin y développe une méthode qui influencera toute son œuvre ultérieure : au lieu d’analyser frontalement ses maîtres, il « parle juste à côté », créant un univers parallèle où ces écrivains révèlent des aspects inattendus de leur génie.

    Sa vision de Paul Claudel illustre parfaitement cette approche : « J’ai découvert un petit Paul, différent de l’ambassadeur à la barbe fleurie, différent de l’homme de lettres aux certitudes de bronze ». Bobin transforme ainsi l’auteur de « L’Annonce faite à Marie » en « être simple, proche de la nature », révélant une humanité cachée derrière la figure officielle.

    Cette méthode anticipe les formes hybrides de la littérature contemporaine, où les frontières entre création et critique s’estompent. Bobin écrit : « Quand je n’écris pas c’est que quelque chose en moi ne participe plus à la conversation des étoiles », définissant l’écriture comme participation mystique à l’univers plutôt que comme exercice intellectuel.

    Le titre « Un livre inutile » cache une philosophie profonde de l’art pour l’art, loin des préoccupations commerciales ou idéologiques. Bobin assume pleinement cette « inutilité » revendiquée : « La littérature n’est rien de plus qu’une berceuse ? – Ce serait déjà beaucoup si elle atteignait à la gaieté des airs qui endorment une enfance, cette gaieté mélancolique si étrange. »

    Cette conception de la littérature comme « berceuse » révèle une dimension souvent ignorée de l’œuvre de Bobin : sa relation à l’enfance comme source d’émerveillement authentique. Il écrit : « Une petite fille mange du chocolat. Il y a plus de lumière sur le papier d’argent enveloppant le chocolat que dans les yeux des sages. » Cette phrase saisissante résume toute sa poétique : préférer la simplicité émerveillée à la sophistication intellectuelle.

    Le paradoxe de l’inutilité devient alors une nécessité vitale. Comme le témoigne un lecteur contemporain : « Un livre tellement inutile qu’il m’est devenu indispensable. » Cette contradiction apparente révèle la fonction essentielle de la poésie dans l’existence humaine : être inutile au sens pratique mais indispensable au sens spirituel.

    En conclusion

    « Un livre inutile » demeure un témoignage unique de la capacité de Christian Bobin à transformer l’exercice critique en création poétique pure. Cette œuvre de transition révèle les fondements secrets de son art : la conversation mystique avec les morts, la transformation de l’analyse en rêverie, la recherche de l’essentiel dans l’apparent superflu. Publié au moment où Bobin basculait de l’écriture confidentielle vers la notoriété, ce livre constitue une méditation prophétique sur l’authenticité littéraire face aux tentations mondaines.

    Plus qu’un simple exercice critique, « Un livre inutile » invente une forme nouvelle où la lecture devient écriture, où l’hommage se transforme en création originale. En définissant la poésie comme « la vie limpide quand elle entre en nous pour prendre connaissance d’elle-même », Bobin livre la clé de son univers : une littérature où l’inutilité revendiquée devient la plus haute des nécessités.

    Vous pouvez vous procurer ce livre inutile directement sur le site des éditions Fata Morgana

    David – Poète & philosophe

  • Il existe des livres qui nous tombent des mains par ennui, d’autres par émerveillement. Le premier recueil de Loïc Demey, « Je, d’un accident ou d’amour », publié aux éditions Cheyne et récompensé par le Prix SGDL Révélation de poésie en 2016, appartient à cette seconde catégorie. Non pas qu’il soit d’un accès immédiat – bien au contraire –, mais parce qu’il opère sur nous cette magie rare de la sidération linguistique.

    L’originalité de ce texte tient en une contrainte aussi simple qu’audacieuse : l’absence totale de verbes. « Dans son livre, les êtres ne s’aiment pas, ils s’amour », résume parfaitement cette transgression grammaticale. Demey a choisi de bâtir un récit d’amour en évacuant le moteur même de l’action, le verbe, pour ne garder que l’essence poétique des substantifs et des adjectifs.

    Cette contrainte oulipienne pourrait sembler artificielle, mais elle révèle au contraire une profonde cohérence poétique. Car l’amour, justement, n’est-il pas cet état où l’être se fait substance pure, où l’on devient davantage qu’on n’agit ? « Adèle se robe rouge et talons à l’affût sur le fauteuil. Je me serviette, elle se debout et m’autour du cou. Je me chancelant, je me trac. Elle me chuchotements d’amour à l’oreille » : dans ces lignes flotte une sensualité immédiate, une présence charnelle que ne ternirait aucune conjugaison.

    Loïc Demey, né en 1977 en Lorraine où il enseigne l’éducation physique et sportive, s’inspire « des univers poétiques et musicaux » pour « détourner et bousculer la langue afin d’y trouver la bonne tonalité ». Ce détournement n’est jamais gratuit : il sert une esthétique de l’épurement où chaque mot compte, où la syntaxe se fait rythme.

    L’inspiration vient d’une chanson d’Arthur H, elle-même inspirée d’un poème de Ghérasim Luca. Cette filiation révèle l’appartenance de Demey à une lignée expérimentale qui, de Luca à Arthur H en passant par les surréalistes, n’a cessé d’interroger les possibles de la langue française. Mais là où Luca jouait sur les sonorités et les répétitions, Demey creuse l’ellipse et l’implicite.

    Sans verbes, le texte acquiert une musicalité particulière, celle d’un jazz sans batterie où seuls les solos s’enchaînent. Les phrases s’étirent, se contractent, créent un rythme nouveau fondé sur la surprise syntaxique et l’attente déçue. « La pièce se sombre, je m’orage. La fermeture éclair. La robe, tonnerre. Sa tunique en l’air et ses dessous à terre. La rue se lune, le ciel se nuit. Je la nue. »

    Cette prose poétique fonctionne par images fulgurantes, par associations libres qui rappellent l’écriture automatique des surréalistes tout en gardant une cohérence narrative. L’amour s’y déploie dans sa dimension la plus sensuelle et la plus imaginaire, entre accident et évidence.

    Au-delà de l’expérimentation formelle, ce livre questionne notre rapport au temps et à l’existence amoureuse. Comme l’explique l’auteur : « Puisque le réel ne peut être raconté, il tente de dire ce qu’il en reste. À savoir sa sensation ». L’absence de verbes traduit cette volonté de saisir l’amour non dans son déroulement chronologique mais dans sa pure présence.

    Cette démarche rejoint paradoxalement une certaine tradition mystique où l’extase se dit par la négation, par ce qui lui manque plutôt que par ce qu’elle est. Ici, c’est par l’absence du verbe que se révèle la plénitude de l’être amoureux. Le « je » du titre oscille entre accident et amour, comme si ces deux termes étaient les deux faces d’une même expérience existentielle.

    Il y a chez Demey une véritable érotisation de la langue elle-même. Ses « mots sont des sensations avant de déclencher des émotions », et cette sensualité langagière contamine l’ensemble du texte. L’amour physique et l’amour des mots se confondent dans une même célébration de l’incarnation.

    Cette approche charnelle de l’écriture rappelle certains passages de L’Amant de Marguerite Duras ou les expérimentations d’Hélène Cixous, mais avec une radicalité formelle qui lui est propre. Demey ne décrit pas l’amour, il le fait advenir dans et par la langue malmenée, réinventée.

    « Je, d’un accident ou d’amour » n’est pas un livre qu’on lit, c’est un livre qu’on éprouve. Sa brièveté – 44 pages seulement – concentre une intensité rare. Chaque page demande un effort d’adaptation, une complicité active du lecteur qui doit réapprendre à lire, à construire du sens à partir de fragments syntaxiques.

    Certains lecteurs avouent s’être « sentis essoufflés » par cette lecture, « perdus » parfois dans ce que raconte l’auteur. Cette difficulté fait partie intégrante de l’expérience esthétique proposée : comme l’amour, ce texte demande un abandon, une confiance aveugle en sa logique interne.

    En conclusion

    Avec ce premier opus, Loïc Demey signe l’émergence d’une voix singulière dans le paysage poétique contemporain. Son approche expérimentale n’est jamais gratuite : elle sert un projet esthétique cohérent où la contrainte libère plutôt qu’elle n’entrave.

    Dans une époque où la poésie cherche souvent ses marques entre lyrisme néo-romantique et prosaïsme du quotidien, Demey propose une troisième voie : celle d’une radicalité formelle au service d’une authenticité émotionnelle. Son accident de la langue révèle finalement les possibles insoupçonnés de notre amour des mots.

    Ce livre mérite sa place dans toute bibliothèque poétique contemporaine, non seulement pour son originalité formelle mais surtout pour sa capacité à renouveler notre rapport à la langue amoureuse. Un livre à découvrir, à relire, à laisser infuser – comme tous les vrais accidents qui changent une vie.

    David – Poète & Philosophe

  • Aller léger, publié en 2024 aux éditions Héros-Limite, est une anthologie de près de 130 poèmes de Nanao Sakaki, traduits pour la première fois en français par Jérôme Dumont. Ce recueil rassemble des textes issus de ses trois principaux ouvrages : Real Play, Break the Mirror et Let’s Eat Stars, offrant ainsi une plongée dans l’univers singulier de ce poète japonais, figure méconnue de la Beat Generation.

    Né en 1923, Nanao Sakaki a mené une vie de nomade, parcourant le Japon, les États-Unis, l’Australie et la Mongolie, souvent à pied, en quête de rencontres et d’expériences. Proche de Gary Snyder et Allen Ginsberg, il incarne une figure atypique de la contre-culture, mêlant influences zen, taoïstes et anarchistes. Son engagement écologique et pacifiste transparaît dans ses poèmes, qui célèbrent la nature et dénoncent les dérives de la société industrielle.

    La poésie de Sakaki se caractérise par sa simplicité désarmante et son humour bienveillant. Il invite à une contemplation joyeuse du monde, à une attention aux petites choses, aux sensations éphémères. Ses vers, souvent courts et rythmés, évoquent des scènes de la vie quotidienne, des paysages naturels, des réflexions philosophiques, toujours avec une légèreté qui n’exclut pas la profondeur.

    Au-delà de la célébration de la nature, Sakaki exprime une critique lucide des atteintes à l’environnement et des injustices sociales. Il prône une vie simple, en harmonie avec la terre, et appelle à une prise de conscience collective. Son poème « Manifesto« , par exemple, imagine une île indépendante, libre de toute pollution et de toute autorité oppressive, symbole d’un idéal de société respectueuse de la nature et des êtres vivants.

    Aller léger est une invitation à ralentir, à observer, à ressentir. C’est un recueil qui se lit comme on marche en forêt, en prêtant attention aux détails, en se laissant surprendre par la beauté du monde. La traduction de Jérôme Dumont restitue avec finesse la musicalité et la clarté des textes originaux, rendant accessible au lecteur francophone l’univers poétique de Sakaki.

    En conclusion

    Aller léger est bien plus qu’un recueil de poèmes : c’est un compagnon de route pour celles et ceux qui cherchent à vivre en accord avec leurs valeurs, à cultiver la joie et la simplicité, à s’engager pour un monde plus juste et plus beau. La voix de Nanao Sakaki, à la fois douce et déterminée, résonne comme un appel à la liberté et à l’émerveillement.

    Vous pouvez vous procurer Aller léger directement sur le site Des éditions Héros-Limite

    David – Poète & Philosophe

  • Publié en 1893, Au jardin de l’Infante est le premier recueil d’Albert Samain, poète symboliste français dont l’œuvre, empreinte de délicatesse et de musicalité, offre une plongée dans un univers onirique et mélancolique. Ce recueil, salué à sa parution, témoigne d’une sensibilité exacerbée et d’une quête d’idéal qui résonne avec les aspirations spirituelles et esthétiques de la fin du XIXe siècle.

    Samain s’inscrit pleinement dans le mouvement symboliste, cherchant à suggérer plutôt qu’à décrire, à évoquer l’invisible à travers le visible. Ses poèmes, souvent comparés à des tableaux, dépeignent des paysages intérieurs où l’âme se reflète dans des images empreintes de mystère et de beauté. L’influence de peintres comme Watteau ou Boucher se fait sentir, notamment dans la représentation de figures féminines idéalisées et de scènes empreintes de nostalgie.

    Le poème éponyme, L’Infante, ouvre le recueil et en constitue le cœur symbolique. L’Infante, figure aristocratique et mélancolique, incarne l’âme du poète, solitaire et en quête d’absolu. Elle évolue dans un palais déserté, entourée de souvenirs d’une grandeur passée, reflétant l’exil intérieur et la quête de sens. La métaphore filée de l’âme comme une infante en robe de parade souligne cette identification entre le moi profond et la figure féminine idéalisée.

    Le recueil explore des thèmes chers au symbolisme : la mélancolie, le rêve, la fuite du temps, la beauté évanescente. Les poèmes sont traversés par une nostalgie diffuse, une aspiration à un ailleurs inaccessible. La nature y est souvent idéalisée, servant de miroir aux états d’âme du poète. La musicalité des vers, l’usage de l’alexandrin et des images évocatrices contribuent à créer une atmosphère envoûtante.

    À sa parution, Au jardin de l’Infante connaît un succès notable, valant à Samain le prix de poésie Archon-Despérouses en 1889 . Le recueil est salué pour sa finesse et sa sensibilité. Cependant, avec le temps, l’œuvre de Samain tombe quelque peu dans l’oubli, jugée parfois trop précieuse ou maniérée. Néanmoins, des rééditions récentes, comme celle des Œuvres poétiques complètes chez Classiques Garnier, permettent de redécouvrir la richesse de son univers poétique.

    En conclusion

    Au jardin de l’Infante est un recueil qui mérite une redécouverte attentive. Par sa musicalité, ses images évocatrices et sa profondeur symbolique, il offre une expérience poétique immersive, en résonance avec des thématiques intemporelles telles que la quête de soi, la beauté et le mystère de l’existence. Pour les amateurs de poésie symboliste et les chercheurs de sens, l’œuvre de Samain constitue une source d’inspiration et de méditation.

    David – Poète & Philosophe

  • La marche est un art, une méditation en mouvement, une façon d’habiter le monde avec plus de lenteur et d’attention. De nombreux auteurs ont célébré les vertus de la promenade : Rousseau, Thoreau, Nietzsche, Walter Benjamin, chacun à sa manière, a vu dans la marche une activité essentielle, presque philosophique. C’est dans cette lignée que s’inscrit Karl Gottlob Schelle, auteur du XIXe siècle, qui livre dans L’art de se promener une réflexion sur la marche et ses bienfaits.

    À première vue, le sujet a tout pour me plaire : une ode à la lenteur, une célébration du vagabondage intérieur et extérieur, un éloge du corps en mouvement dans l’espace. Et pourtant, à la lecture de cet ouvrage, je suis resté mitigé. Il y a du bon dans ce texte, des passages intéressants, mais aussi des lourdeurs, des répétitions, et une approche qui manque parfois de souffle et de profondeur.

    Il faut rappeler que Karl Gottlob Schelle écrit en 1802. Son texte appartient à une époque où la marche commence à être réévaluée comme une pratique noble, non plus seulement un moyen de déplacement, mais un acte de réflexion, une expérience spirituelle. Il précède ainsi les Romantiques et les philosophes piétons du XIXe siècle, et l’on peut saluer son intuition visionnaire.

    Là où le livre perd un peu en intérêt, c’est dans son ton trop descriptif et parfois moralisateur. Schelle ne cherche pas tant à nous faire ressentir la promenade qu’à nous dire comment elle devrait être pratiquée, pourquoi elle est bénéfique, et en quoi elle nous grandit.

    Or, la marche est avant tout une expérience sensorielle et intime. La réflexion de Schelle reste trop rationnelle, comme s’il s’agissait de convaincre un tribunal de la valeur de la promenade. On aurait aimé plus d’évasion, plus de poésie, plus de ressenti personnel.

    Malgré mes réserves, L’art de se promener a de réelles qualités.

    1. Un témoignage historique intéressant
      Schelle écrit à une époque où la marche est encore perçue comme une activité triviale. En cela, il s’inscrit dans un mouvement de réhabilitation, où la promenade devient un acte philosophique, esthétique et moral. Il est un précurseur de ce qui deviendra, plus tard, une tradition intellectuelle forte.

    2. Des réflexions pertinentes sur les bienfaits de la marche
      Schelle évoque les bienfaits physiques et mentaux de la promenade, et certains passages résonnent encore aujourd’hui. Il parle de la marche comme d’un équilibre entre le corps et l’esprit, comme un moyen de se recentrer et d’échapper aux troubles de l’âme.

    3. Un livre accessible
      Contrairement à certains traités philosophiques complexes, ce livre reste facile à lire. Il peut être une introduction intéressante à la réflexion sur la marche, même si d’autres auteurs ont, depuis, approfondi ce sujet avec plus de finesse.

    Mais aussi quelques limites.

    1. Un ton professoral et un manque de lyrisme
      L’un des grands défauts du texte est son ton trop académique. On ne ressent pas chez Schelle la joie pure de la promenade, cette sensation de liberté, d’évasion, de dilatation de l’être que l’on retrouve chez un Rousseau ou un Thoreau.

    2. Un manque d’ancrage dans le sensible
      Schelle parle beaucoup de la promenade de manière théorique, mais il nous manque le vent dans les arbres, la sensation des pierres sous le pied, l’odeur de la terre après la pluie. Son texte aurait gagné à être plus incarné, plus sensoriel, plus vivant.

    3. Une approche parfois trop normative
      L’auteur ne se contente pas de vanter la marche, il semble vouloir dicter comment il faut se promener. Or, la beauté de la marche réside justement dans sa liberté absolue, dans le fait qu’elle ne répond à aucun dogme, aucun mode d’emploi.

    Si vous êtes passionné par l’histoire des idées, ce livre peut être intéressant, ne serait-ce que pour comprendre comment la marche est devenue un sujet philosophique. Mais si vous recherchez un texte vibrant, poétique, capable de vous donner envie de partir marcher dès la première page, mieux vaut vous tourner vers Henry David Thoreau (De la marche), Frédéric Gros (Marcher, une philosophie) ou encore Sylvain Tesson.

    En conclusion

    L’art de se promener est un livre intéressant, mais pas captivant. Il propose une réflexion historique et philosophique sur la marche, mais manque d’émotion et de chair. Il reste une curiosité, un texte à lire pour comprendre une époque, mais pas une œuvre qui marque profondément l’âme du lecteur.

    En refermant ce livre, je n’ai pas eu cette irrésistible envie de chausser mes bottes et d’aller marcher. Or, pour un ouvrage qui prétend célébrer la promenade, c’est peut-être là son plus grand échec.

    David – Poète & Philosophe