Certains livres ne se lisent pas, ils nous lisent.
Certaines œuvres ne s’ouvrent pas sous nos doigts, mais entrouvrent en nous des portes scellées depuis l’origine…
Le Message Retrouvé de Louis Cattiaux appartient à cette rare famille d’ouvrages qui échappent au temps linéaire pour s’inscrire dans la verticalité du mystère. Écrit entre 1938 et 1953 par un peintre-poète-alchimiste à la vie brève et fulgurante, ce texte se présente comme une constellation de près de cinq mille versets répartis en quarante livres. Ni manifeste, ni traité, ni recueil poétique au sens habituel, il se tient ailleurs, dans cet espace où la gnose ancienne se fait chair nouvelle, où la sagesse millénaire respire dans une langue qui n’appartient qu’à elle-même. Cette recension propose d’explorer un ouvrage qui ne se donne jamais entièrement, qui se dérobe autant qu’il se révèle, et qui exige du lecteur ce que l’auteur lui-même a donné : la totalité de son être.
Une Couverture comme Seuil Initiatique
Avant même d’ouvrir Le Message Retrouvé, l’œil rencontre un objet qui refuse la facilité. Sur un fond gris perle d’une sobriété presque minérale, les lettres dorées composent une architecture verticale qui rappelle autant les stèles antiques que les enluminures médiévales. Le titre se déploie en colonnes : MESSAGE et RETROUVÉ encadrent CATTIAUX et LOUIS, disposés en miroir. Cette symétrie n’est pas seulement esthétique, elle est cosmique. Au centre exact de la composition, deux symboles solaires se font face, l’un rayonnant vers le haut, l’autre vers le bas, incarnant visuellement le sous-titre gravé entre eux : « ou l’horloge de la nuit et du jour de Dieu ».
Ces deux astres ne sont pas juxtaposés par hasard. Ils rappellent le double mouvement du Grand Œuvre alchimique : solve et coagula, dissoudre et coaguler, descente dans la matière et remontée vers l’esprit. L’horloge dont parle Cattiaux ne mesure pas le temps des hommes, mais celui de la transmutation. Entre la nuit et le jour de Dieu s’étend tout le mystère de la chute et de la rédemption, de la mort et de la résurrection. La typographie elle-même, en relief tridimensionnel sur cette couverture « soft touch », invite la main à une caresse contemplative. Le signet rouge qui dépasse du volume rappelle le fil d’Ariane nécessaire pour ne pas se perdre dans ce labyrinthe de sentences.
Les Éditions Philomène Alchimie, spécialisées dans la réédition d’ouvrages hermétiques rares, ont conçu cette édition 2024 comme un véritable objet sacré. Elles ont respecté les indications ultimes de Cattiaux qui suggérait d’entrouvrir son livre avec un modeste stylet, comme on ouvre un grimoire protégé, comme on pénètre un sanctuaire. Cette matérialité n’est jamais anodine chez les alchimistes : le livre physique participe de l’œuvre qu’il contient. Tenir ce volume relié au dos cousu, sentir ses 430 pages sous les doigts, c’est déjà commencer la lecture avec « les yeux de l’esprit et du cœur », ainsi que l’exige la dédicace générale de l’ouvrage.
Peintre du Visible et de l’Invisible
Né en 1904, Louis Cattiaux n’a vécu que quarante-huit années sur cette terre, emporté en 1953 par une maladie foudroyante de la rate. Mais cette brièveté n’a rien d’inachevé. Au contraire, sa trajectoire possède la concentration d’une vie entièrement orientée vers l’essentiel. Formé aux Beaux-Arts, il débute comme peintre dans les années 1930, participant même au mouvement du Transhylisme aux côtés de Jules Supervielle et d’autres artistes de son temps. Mais dès 1936, un basculement s’opère. Cattiaux découvre l’alchimie, non pas comme curiosité intellectuelle ou pratique technique, mais comme voie de régénération totale. Dès lors, il abandonne presque entièrement la peinture pour se consacrer à l’écriture.
Ce choix n’est pas un renoncement, c’est une transmutation. Le pinceau devient plume, la toile devient page, mais l’exigence reste identique : révéler les signes inscrits dans la chair du monde. Cattiaux appartient à cette lignée d’artistes-philosophes pour qui l’art n’est jamais séparé de la quête spirituelle. Comme Dürer ou Blake, comme Jacob Böhme ou William Blake, il peint et écrit depuis un lieu où l’image et le verbe ne font qu’un, où la création artistique est inséparable de la recréation de soi. Son approche de l’alchimie n’est ni spéculative ni purement symbolique : il s’agit pour lui d’une science de transformation réelle, corporelle autant que spirituelle.
En 1938, il commence à rédiger ce qui s’appelle d’abord Le Message Égaré, titre lourd de sens. Ce qui était perdu, oublié, recouvert par les siècles d’ignorance et de matérialisme, Cattiaux va le retrouver. En 1946, il publie à compte d’auteur les douze premiers chapitres, préfacés par Lanza del Vasto, le disciple de Gandhi. Ce texte circule alors dans des cercles restreints, touchant profondément ceux qui ont les yeux pour voir. Parmi eux, René Guénon rédige en 1948 un compte rendu favorable dans la revue Études traditionnelles. Cette reconnaissance attire l’attention d’Emmanuel d’Hooghvorst, puis de son frère Charles, deux hermétistes belges de grande érudition. Entre Cattiaux et les d’Hooghvorst naît une amitié spirituelle profonde. Ils seront les gardiens de son œuvre après sa mort prématurée.
Cattiaux ne cesse d’écrire jusqu’à son dernier souffle, ajoutant livre après livre à sa cathédrale de versets. L’édition complète paraît en 1956 chez Denoël, trois ans après sa disparition. Depuis, Le Message Retrouvé a été traduit en sept langues, étudié lors de colloques universitaires, commenté par des générations de chercheurs spirituels. Mais il demeure un livre secret, non par occultation, mais par nature. Seuls ceux « pour qui ce livre a été écrit le sauront bien en le lisant », affirme Emmanuel d’Hooghvorst dans sa présentation. Il s’adresse à une famille spirituelle dispersée à travers le temps et l’espace, à ceux capables de « croire l’incroyable » et de reconnaître la lumière divine enfouie au cœur de leur propre obscurité.
Une Architecture de Sentences. La contemplation du Verbe Alchimique
Ouvrir Le Message Retrouvé, c’est entrer dans une architecture paradoxale. L’ouvrage se compose de quarante livres numérotés en chiffres romains, chacun contenant des dizaines de versets brefs, souvent disposés en colonnes parallèles. Chaque livre s’ouvre par deux épigraphes tirées des Écritures sacrées de diverses traditions, et se clôt sur deux hypographes issues des mêmes sources universelles. Cette structure en miroir n’est pas ornementale, elle signale que le Message ne se situe ni dans le judaïsme, ni dans le christianisme, ni dans l’islam, ni dans l’hindouisme, mais dans leur racine commune, dans cette Tradition primordiale que tous les véritables sages ont reconnue sous les voiles des formes historiques.
Les versets eux-mêmes frappent par leur densité. Rarement plus de quelques lignes, souvent une seule phrase, ils possèdent la concentration explosive d’une formule alchimique. Voici ce qu’écrit Emmanuel d’Hooghvorst à leur sujet « cette concentration extraordinaire de la pensée recèle une force cachée comparable à celle des explosifs les plus puissants, ou plus exactement à celle des semences de nos plus grands arbres. Une lecture superficielle n’y verra que des maximes, des aphorismes parfois énigmatiques. Mais celui qui lit avec patience découvre que chaque verset contient en germe tout un monde de significations. Le Message ne développe rien systématiquement, il ne démontre pas, il affirme. Mais ces affirmations ne sont pas arbitraires, elles surgissent d’une expérience vécue, d’une connaissance incorporée. »
La langue de Cattiaux ne ressemble à rien d’autre dans la littérature française du vingtième siècle. Elle refuse autant le lyrisme romantique que la sécheresse conceptuelle. On y entend des échos de la Bible, des Psaumes surtout, mais aussi de la poésie soufie, des Upanishads, des textes hermétiques gréco-égyptiens. Pourtant, le style reste irréductiblement personnel, marqué d’une simplicité qui n’a rien de naïf. Cattiaux emploie un vocabulaire courant, des mots de tous les jours, mais il les fait résonner dans une tonalité où perce l’archaïque et l’éternel. Ses phrases courtes créent un rythme psalmodique, propice à la méditation. Elles ne cherchent pas à convaincre l’intellect, mais à éveiller ce que l’auteur nomme « les yeux de l’esprit et du cœur ».
Les thèmes traversés sont ceux de toute gnose authentique : la chute de l’homme en ce monde matériel, l’oubli de son origine divine, la possibilité d’une régénération corporelle et spirituelle par la voie mystérieuse qui mène à la résurrection. Cattiaux parle du Royaume caché, de la Pierre philosophale, du Fils de l’Homme, du Feu secret, de la Mort et de la Vie, de la Nuit et du Jour de Dieu. Mais ces thèmes ne sont jamais traités de manière abstraite. Ils surgissent toujours dans leur rapport à l’expérience concrète d’un chercheur qui a travaillé dans l’obscurité, sans encouragement, avec un « métier misérable », comme il le dit lui-même. Cette humilité n’est pas feinte. Le Message s’adresse d’abord aux plus emprisonnés, aux plus abandonnés, aux plus démunis, pour leur donner courage et leur montrer que le chemin vers la délivrance existe, même au cœur de la misère moderne.
La poésie du texte ne réside pas dans des images spectaculaires ou des métaphores brillantes, mais dans une justesse de ton, une précision du verbe qui touche juste. Quand Cattiaux écrit sur la lumière, ce n’est jamais une lumière métaphorique ou symbolique au sens décoratif : c’est la lumière réelle que Dieu alluma au commencement dans la nature et dans notre cœur, et que nous avons mission de réveiller. Quand il parle de la mort, c’est de la mort effective, corporelle, et de la possibilité non moins réelle d’une victoire sur elle. Cette concrétude, alliée à une élévation spirituelle constante, donne au Message une force peu commune. On ne lit pas ces pages pour y chercher de belles pensées, mais pour y trouver un guide pratique vers la transformation de tout l’être.
Alchimie de la Pensée et de l’Être
Pénétrer la philosophie du Message Retrouvé exige de remettre en question nos catégories habituelles. Cattiaux ne propose pas un système philosophique au sens académique, avec ses prémisses, ses déductions et ses conclusions. Il offre plutôt ce que les anciens appelaient une « philosophia perennis », une sagesse éternelle qui traverse les siècles sous des formes variables mais garde intact son noyau de feu. Cette sagesse se reconnaît à un trait, elle ne sépare jamais la connaissance de la transformation de celui qui connaît. Philosopher, pour Cattiaux, ce n’est pas spéculer sur la nature de l’être, c’est devenir l’être véritable que nous avons oublié.
La vision du monde qui émerge du Message repose sur une ontologie de la chute et de la rédemption. L’homme n’est pas seulement un animal rationnel égaré dans un univers absurde, comme le veut le nihilisme moderne. Il n’est pas non plus simplement un esprit prisonnier d’un corps, selon le dualisme platonicien. Il est un être double, un composé mystérieux d’éternité et de temps, de lumière et de ténèbres, qui a chuté de son état originel et qui porte en lui, enfouie, la semence de sa résurrection. Cette chute n’est pas seulement morale, elle est physique, corporelle, cosmique. Elle affecte notre chair autant que notre âme. Notre corps mortel, malade, soumis aux nécessités, n’est pas notre véritable corps. Il est le vêtement de peau dont parle la Genèse, le résultat de la densification qui suivit la désobéissance primordiale.
Je vous offre maintenant en une phrase le cœur du Message « cette chute n’est pas irréversible ». La tradition hermétique et alchimique, à laquelle Cattiaux se rattache explicitement, affirme la possibilité d’une régénération totale, d’un retour à l’état adamique d’avant la faute, voire d’un dépassement de cet état vers la résurrection dans un corps glorieux. Cette régénération n’est ni une promesse eschatologique pour après la mort, ni une métaphore psychologique. C’est une possibilité réelle, ici et maintenant, pour celui qui accepte de mourir à lui-même et de renaître par le Feu divin. La Pierre philosophale, dont parlent tous les alchimistes, n’est autre que ce principe de résurrection, cette médecine universelle qui guérit toutes les maladies de l’âme et du corps.
Cette perspective bouleverse radicalement notre rapport à l’existence. Si la régénération est possible, alors le monde n’est pas un lieu d’exil définitif, mais un laboratoire initiatique. La matière n’est pas méprisable, elle est le théâtre de l’Opus, la substance à transmuter. Nos souffrances, nos échecs, nos nuits intérieures ne sont pas absurdes, ils sont les étapes nécessaires de la putréfaction alchimique qui précède toute renaissance. Cette vision confère une dignité immense à l’expérience humaine la plus humble. Cattiaux écrit pour le pécheur, l’homme ordinaire, celui qui cherche Dieu au milieu des inconvénients du monde avec un métier misérable. Il n’y a aucun élitisme dans le Message, mais une démocratisation de la gnose la plus haute. Chacun, quelle que soit sa condition, peut entreprendre le Grand Œuvre.
La pensée de Cattiaux dialogue implicitement avec les grandes traditions mystiques et ésotériques de l’humanité. On y retrouve des échos de Maître Eckhart et de Jacob Böhme pour la mystique rhénane, de Paracelse et de Basile Valentin pour l’alchimie chrétienne, de la Kabbale juive et du soufisme islamique pour la théosophie orientale. Mais plus encore, Cattiaux résonne avec les textes les plus anciens : les mystères égyptiens, les enseignements orphiques, les écrits du Corpus Hermeticum. Certains commentateurs n’hésitent pas à voir dans Le Message Retrouvé le dernier livre du Corpus Hermeticum, celui qui clôt et accomplit toute la tradition hermétique. Cette audace n’est pas usurpée, le Message possède effectivement la densité, l’autorité et la force prophétique des textes révélés.
Quelle sagesse se dégage de cette lecture? D’abord, celle de la patience et de l’humilité. La transmutation ne s’obtient pas par la violence ou la volonté orgueilleuse, mais par l’abandon confiant à l’action divine. Ensuite, celle du discernement. Il faut apprendre à distinguer le vrai du faux, l’authentique du factice, la lumière des ténèbres. Cette discrimination n’est pas intellectuelle, elle se développe par la purification du cœur. Enfin, la sagesse de l’unité. Cattiaux rappelle sans cesse que tout est Un, que Dieu n’est séparé de rien, que le Ciel et la Terre se touchent, que le spirituel et le matériel ne s’opposent qu’en apparence. Cette vision non-dualiste est probablement l’apport le plus précieux du Message à notre époque de fragmentation et de division. Elle nous invite à dépasser tous les dualismes qui nous déchirent pour retrouver la simplicité originelle de l’être.
Un Ouvrage pour Notre Temps
Écrit dans les années 1940 et 1950, Le Message Retrouvé pourrait sembler daté, vestiges d’une époque révolue où l’on croyait encore aux mystères. Mais c’est exactement l’inverse qui se produit. Plus notre monde s’enfonce dans le matérialisme technique, plus le Message résonne avec une actualité brûlante. Nous vivons en cette fin d’un monde, comme l’écrit un commentateur, « à l’usure de toutes les spiritualités ». Les religions instituées ont perdu leur force initiatique, les philosophies modernes se complaisent dans le relativisme et le nihilisme, la science profane règne sans partage sur les consciences. Dans ce désert spirituel, le Message se dresse comme un phare, rappelant l’existence d’une autre dimension, d’une autre possibilité.
L’ouvrage s’adresse à ceux qui sont fatigués d’un monde sans issue, de plus en plus étranger à tout ce qui est véritablement humain. Il parle à ceux qui pressentent que quelque chose d’essentiel a été oublié, perdu, recouvert. Ces lecteurs ne forment pas une catégorie sociologique, mais une famille spirituelle dispersée, ceux que Cattiaux appelle « les croyants de bonne volonté ». Ce sont des êtres qui refusent de se résigner au désenchantement, qui cherchent la substance derrière les apparences, l’éternité dans le temps. Pour eux, Le Message Retrouvé sera non pas un livre parmi d’autres, mais une rencontre décisive.
Les forces de l’ouvrage sont multiples. D’abord, son authenticité. Rien d’artificiel ou de fabriqué dans ces versets. Ils portent le sceau d’une expérience vécue, d’une sagesse conquise dans l’obscurité et la solitude. Ensuite, son universalisme. Cattiaux ne fonde aucune nouvelle religion, il rappelle l’unique Religion universelle qui se cache derrière toutes les formes traditionnelles. Cette perspective œcuménique, au sens le plus profond, répond à un besoin crucial de notre époque multiculturelle. Enfin, sa clarté paradoxale. Le Message est difficile, hermétique parfois, mais jamais abscons. Il demande du lecteur une certaine qualité d’attention, une purification du regard, mais il ne se complaît jamais dans l’obscurité gratuite. Comme l’écrivait Cattiaux lui-même « Si vous avez la foi et la patience, il s’éclairera de lui-même un peu à la fois. »
Ce livre ne se lit pas d’une traite, il n’offre pas le plaisir facile d’un récit ou la satisfaction immédiate d’une démonstration. Il demande à être lu, relu, étudié dans la simplicité de l’esprit et la pureté du cœur. Certains versets demeureront opaques pendant des années avant de s’illuminer soudain. D’autres frapperont immédiatement par leur évidence fulgurante. Le Message accompagne, habite celui qui lui fait une place. Il devient un compagnon de route, un livre de chevet au sens littéral, que l’on garde toujours auprès de soi et que l’on consulte dans les moments de doute ou de recherche. Sa durabilité est attestée par les générations successives de lecteurs qui, depuis 1946, y puisent inspiration et guidance.
La place du Message Retrouvé dans l’œuvre de Cattiaux est centrale, c’est son testament spirituel, la synthèse de toute sa quête. Mais il ne se sépare pas de son travail pictural, de sa « Physique et Métaphysique de la Peinture », de ses poèmes. Tout chez cet artiste forme un ensemble cohérent, tendu vers le même but, la régénération de l’être. Dans le paysage de la littérature ésotérique française du vingtième siècle, Le Message occupe une position singulière, aux côtés des œuvres de René Guénon, de Julius Evola, de Frithjof Schuon. Mais là où ces auteurs théorisent, commentent, analysent, Cattiaux témoigne. Son livre ne parle pas sur la tradition, il parle depuis la tradition, comme une voix prophétique qui aurait traversé les siècles pour nous rejoindre.
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Pour commander cet ouvrage : Éditions Philomène Alchimie
